jeudi 15 mai 2008

Paris - Ermont

Lundi. Très exactement 7h du matin. Mon premier réveil sonne, je l'éteins d'un revers de la main et me rendors, à peine troublé dans mon sommeil. 7h10. Mon second réveil programmé sur mon mobile sonne à son tour. J'appuie machinalement sur n'importe quelle touche et la sonnerie se stoppe. Trente minutes plus tard et me voilà sur le trottoir, lavé et à peine sorti de la brume de ma nuit. Je descends sur ma gauche, prends la rue sur ma droite, dépasse le café et la boulangerie - pas le temps de prendre de quoi petit-déjeuner - puis la première à gauche, et la station de métro Marcadet-Poissonnier apparaît devant moi. Après une volée d'escaliers décorée de chewing-gums soudés aux marches par le temps, un tourniquet, et une seconde volée d'escaliers, me voilà sur le quai. Une rame gris sale et vert délavé arrive, il est 7h46, j'ai encore quinze minutes. Je me suis placé aux deux-tiers du quai afin d'arriver directement devant la sortie principale de la station Gare du Nord. Tous les gens vont s'y engouffrer en même temps mais je serai devant eux, bien loin de leurs bousculades, occupé à marcher d'un pas rapide vers mon train de banlieue. Je pénètre mon wagon et reste debout, accroché à ma barre métallique et froide, bien décidé à ne la lâcher sous aucun prétexte, qu'importe le nombre de gens qui rentreront les deux stations suivantes. Le métro démarre. Le temps d'arriver à Château-Rouge - une bonne minute -, j'ai le temps d'allumer mon lecteur MP3, de mettre sur mes oreilles mon énorme casque aux basses surboostées, de choisir l'album Undertow de Tool, de régler les basses à fond et de diminuer les aigus, et de remettre mon appareil dans sa protection en cuir, puis dans ma poche. Château-Rouge. Les portes s'ouvrent, personne ne sort mais une dizaine de personnes rentrent, tous se rendent au turbin ou à l'école. Le métro redémarre, il est 7h48, j'ai encore treize minutes. Dans le silence de ma musique, je regarde d'un cerveau vide les conduits électriques sinuer le long des murs du tunnel et les lumières ponctuer mon trajet toutes les secondes. Je me demande pourquoi il y a parfois une lumière et d'autres fois deux, et oublie instantanément ma question. Barbès-Rochechoir. Cinq personnes sortent, quatre fois davantage entrent, j'affirme ma poignée sur ma barre de métal. Les portes se ferment, il est 7h49, j'ai encore douze minutes. Encore un tunnel, un peu plus long que les deux autres cette fois-ci. Je me mets tant bien que mal en place devant les portes, ignorant volontairement les gémissements agacés des personnes que je bouscule, prends la poignée de sortie en main, près à dégainer, et attends. Gare du Nord. La rame n'est pas encore immobilisée que j'actionne la poignée et sort. Comme prévu, la masse agglutinée de gens se rue derrière moi mais je suis plus rapide. Il est 7h51 passée, j'ai encore neuf minutes et demi environ, ma première chanson de quatre minutes et cinquante trois secondes se termine alors que j'aborde le couloir suivant la volée d'escaliers que je viens de descendre. J'esquive instinctivement les gens qui arrivent en face en de grands pas obliques, prends les escalators, et continue du même pas mon chemin. Je passe un magasin de vêtements, une sorte de boutique sncf, le marchand de saucissons - mais qu'est-ce qu'il fout dans un endroit pareil ? -, les tourniquets, et m'engage sur les escalators qui m'emmènent aux trains de banlieue. Voie 36. Train annoncé : semi-direct en direction d'Ermont à 8h01, les stations desservies sont Saint-Denis, Villetanneuse, La Barre-Ormesson, Enghien-les-Bains, et Ermont-Eaubonne, nul besoin de regarder, je le sais. Il arrivera treize minutes plus tard. La seconde piste de mon album prend fin, il me reste cinq minutes, le temps de m'asseoir dans le quatrième wagon, celui qui s'arrêtera face à la sortie de la gare d'Ermont-Eaubonne. Je trouve une place côté fenêtre, tire ma capuche sur ma tête, m'accoude sur ma droite, et ferme les yeux. Cinq minutes et sept secondes pour le troisième titre, la sonnerie retentit et quelques instants plus tard je sens le train démarrer lentement. Accélération, nous venons donc de dépasser le quai. Le trajet menant au premier arrêt est le plus long, environ six minutes. Je sens le sol trembler sous mes pieds et m'assoupis. Les idées traversent ma tête dans un chaos dont le fil directeur est celui de la quatrième chanson de mon album, sept minutes quatorze. A son apogée, nous arrivons en gare de Seine Saint-Denis, lorsqu'elle se conclura, nous la quitterons, entretemps rien que moi et ma musique. Je n'entends rien de ce qu'il se passe alentour, je sens toutefois une présence à ma gauche, légère, elle ne me frôle pas, elle ne bouge pas. J'imagine une jeune femme en tailleur gris se rendant sur son lieu de travail, absorbée par ses affaires de la journée. J'imagine un étudiant imberbe avec des lunettes en retard pour ses cours de faculté de droits, fatigué d'avance des trois amphithéâtres qu'il s'en va suivre, pressé de rentrer chez lui s'avachir devant la télévision de son salon. J'imagine un gars au visage encapuchonné, des écouteurs vissés dans les oreilles, regardant devant lui d'un œil hagard, puis les fermant et s'endormant sur sa droite, sur mon épaule. Je m'imagine. Un arrêt, Seine Saint-Denis, sensation de pas, sensation de portes qui se ferment, sensation que le train avance à nouveau, ma piste se termine, la suite s'ensuit, c'est reparti pour cinq minutes trente-deux, le temps de passer Villetanneuse. Je ne pense plus à rien mais suis conscient de l'accélération, puis la vitesse de pointe prend le relais, puis décélération, arrêt, redémarrage, accélération, vitesse de pointe, chanson suivante, et ainsi de suite. Je ne suis même plus conscient et pourtant lorsque j'ouvre les yeux j'arrive en gare d'Ermont-Eaubonne. J'ai zappé une chanson... Je m'extirpe de mon siège déformé par mon poids de treize minutes, retire ma capuche pour laisser mes longs cheveux respirer et me place devant la porte, actionnant déjà la poignée. L'air s'engouffre finalement, et je descends, directement devant les escaliers des voies 4 et 5. Il est 8h13.
Lundi. Je regarde mon mobile : il est très exactement 17h33 et je suis sur la voie 6.. A ce moment de la journée, il y a des trains toutes les six minutes environ, le prochain est un semi-direct en direction de Gare du Nord. Mêmes stations qu'à l'aller. Je mets mes écouteurs sur les oreilles. Un jour d'existence de plus.

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